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jeudi 15 mars 2012

Nouvel incipit, 4 ans plus tard et après mille retouches (in)utiles... Je ne sais même pas pourquoi je le copie ici, j'ai un seul abonné à ce blog (que j'ai laissé tomber il y a 3 ans) et il ne parle pas français. Mais je crois bien que ça me donne l'impression de me publier un peu moi-même, comme un acte désespéré et poétique qui viendrait rompre avec la monotonie de l'envoi de candidatures pour un stage qui m'obsède ces jours-ci !

Au lecteur inconnu, salut !



[La première fois que j’avais quitté le Mexique, sept kilos m’étaient tombés sur les hanches. Arrimé à une silhouette d’à peine un mètre soixante-cinq, ce surplus de poids me donnait des formes girondes dont mon décolleté ne se plaignait pas. Trois ans plus tard, j’avais retrouvé ma ligne, mon bonnet B et la moiteur de l’air mexicain, son odeur de pétrole mélangée à un parfum de plantes séchées et d’excréments.
L’avion amorçait sa descente sur les immeubles de la capitale encore luisants d’un soleil qui finissait de fondre sur les volcans. Une petite tension s’insinua à l’arrière de ma nuque. J’avais peur de l’atterrissage et des cliquetis de la carlingue qui taquinait du bout de l’aile l’avenue principale de la ville. J’apercevais le flot des voitures, peste bubonique sur l’artère fémorale de la vallée. J’ôtai d’un geste sec mes écouteurs et refermai un livre de Malcolm Lowry : le consul, une bouteille de mezcal à la main, venait juste de retrouver son Yvonne.
-       Voyez, l’air est moins dense en altitude et la portance est plus faible qu’ailleurs à Mexico. C’est pour cela que l’avion garde une certaine allure avant de se poser.
Le stewart se tenait à côté de moi, figé dans un demi-sourire. Son coude posé sur mon appui tête insinuait que je n’aurais pas à le supplier et il me tiendrait volontiers la main. Ma crainte de l’atterrissage ne pesait pas bien lourd à côté de cette angoisse du retour en arrière. Le sang battait sur mes tempes. J’avais trouvé un emploi. Je quittais mes amis et ma famille pour être plus sûre d’eux encore. Ou peut-être simplement pour m’en débarrasser. A présent que mon horizon se réduisait à la nuque du passager de devant, je me sentais comme un papillon monarque qui retourne sur les terres du Michoacan sans raison apparente, mais seulement en vertu d’un instinct supérieur, parce que le chemin du retour est inscrit dans son code génétique. J’avais envie de vomir. A la fenêtre, un gris défilait, celui de la zone de l’aéroport plumeté du jaune et du rose sales de maisons aux toits plats, de garages concessionnaires et de marchés couverts. J’aperçus des taxis et des autobus. Le souvenir de la magie suspendue dans l’air de ce pays se raviva brusquement, comme l’on retrouve son enfance sur l’allée de la maison de ses parents. C’était comme une évidence. Le vent de la chance soufflait plus fort ici.
Et je savais qu’il m’attendait. Quelque part, au volant d’une voiture, à pied derrière les immeubles de Reforma, flânant sur la place Luis Cabrera. Là où il serait difficile de le trouver mais où, désormais, je pouvais l’imaginer et le chercher sans que ça paraisse fou. Il était à nouveau tout prêt de moi. En revenant, je m’étais offert le droit de croire que nous allions nous revoir.
L’avion heurta la piste. Je me levai et me préparai à sortir par la rampe d’accès. Ma peau, poisseuse, se collait à mon débardeur bleu. 
- Vous croiserez sûrement Stéphane Bern en sortant, reprit le steward. Il a pris ce vol, je crois qu’il va filmer un documentaire sur le Mexique.
Monsieur Bern attendait ses valises à côté de moi. Petit, le nez aquilin, le buste étroit, fatigué. La jetset parisienne perdait gravement de son attrait, si tant est qu’elle en eut, dans l’aéroport de Benito Juarez après dix heures de vol. Il avait morflé, le Stéphane. Je me demandais si quelqu’un comme lui pourrait sentir la magie, pourrait plonger sans retenue dans le regard de ces hommes et de ces femmes pour y entrevoir ce que j’y avais vu, trois ans auparavant, et qui avait changé ma vie.
Une très longue file d’hommes et de valises s’était déjà formée devant les postes des douanes. Je me présentai devant celui qui était réservé aux diplomates, aux équipages et aux passagers ayant un handicap ou un bébé. Une association qui ne manquait pas de bon sens, songeai-je. Devant moi, un vieil homme, mexicain si j’en jugeais par le sachet de chips maculées de sauce pimentée qu’il tenait fermement contre sa poitrine, fut autorisé à passer sur le sol national dans son fauteuil roulant. L’idée du voyage prenait avec lui tout son sens. Je portais un large sac-à-dos vert et une paire de baskets fatiguée ; je ne correspondais pas exactement à l’idée que d’aucun se faisait du personnel des ambassades.
-Mira, que hace esa chava aqui [1]
Un jeune couple qui venait de s'insulter gentiment s’était posté derrière moi avec une poussette moderne et une cage en plastique qui devait renfermer le chien dont je percevais la respiration saccadée. L’homme me gratifia d’un regard inquisiteur, comme s’il cherchait sur mon visage quelque indice de ma nationalité. Il n’en trouverait pas si facilement : on avait déjà supposé à mon égard que j’étais algérienne ou allemande, on m’a même demandé un matin, dans un taxi de la Roma, si j’étais uruguayenne. Je tendis mon passeport de service à l’agent mexicain. Il l’examina attentivement, dans plusieurs sens, pour se donner l’air important mais je savais bien qu’il le feuilletait seulement.
-       Pasele señorita[2] Yosefine Cor…
-       Joséphine Cormery.
Les portes automatiques s’ouvrirent sur des pancartes d’agences de voyage. Un homme brun brandissait mon prénom avec inquiétude. C’était un chauffeur de l’ambassade. Je le suivis, confiante, et pus enfin m'effondrer de fatigue en m’installant dans la grande voiture de fonction. Je songeais qu’il me faudrait brandir une bien grande pancarte pour le retrouver.]


[1] « Regarde, qu’est-ce qu’elle fait là cette fille ? »
[2] « Passez, mademoiselle »

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