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dimanche 20 janvier 2008

Mes impressions, soleil levant 19/12/07

Les cloches de l'église baroque encouragent le soleil qui commence lentement sa course dans un ciel d'azur pur et semble s'étirer après un long sommeil derrière les montagnes, découvrant une à une les couleurs de Guanajuato. Assise à la terrasse de "la Tasca de Paz", nous essayons de nous réveiller doucement, avec du café et à grand renfort de jus d'orange pour profiter ensuite des merveilles sucrées de cette ville théâtre. Comme éclôt une fleur de nopale, Guanajuato s'est ouverte peu à peu sous nos yeux fatigués du voyage en bus. Les camions qui approvisionnent les étalages du marché couvert étaient les premiers à perturber le sommeil des rues. La tête emmitouflée dans mon poncho acheté sur un achalandage du marché de San Juan de Guadalajara, des bouts du passé venaient agiter ma quiétude (...). Un molcajete d'impressions fugaces avait pourtant laissé son empreinte tout près de mon coeur. C'est la troisième fois que je découvre Guanajuato. Déjà, le soleil se fait plus pressant sur notre peau et la chaleur tombe à travers le parasol qui nous abrite mal. Nadia dort à moitié, le coude prêt à tomber sous le poids de son cou. Le livre d'Agustin est posé sur la nappe jaune du petit déjeuner et me donne envie d'écrire. C'est un objet de pouvoir, pas au sens où l'entend Carlos Castaneda dans Les enseignements de Don Juan, mais plutôt parce qu'il me rappelle le respect et l'admiration que j'ai pour la culture de mon ami, pour son ouverture d'esprit et sa folie à demi-teintée, pour sa volonté qui ne le tire jamais tout à fait de ses rêves de beauté infinie. La frase negra. Je le lirai comme l'on déguste un nectar, en mordillant la pulpe du fruit, en décortiquant les saveurs pour déviner la partition qui compose l'harmonie du texte.

dimanche 6 janvier 2008

Attrapée entre deux mondes

La première fois que j’avais quitté le Mexique, sept kilos m’étaient tombés sur les hanches. Arrimés à une silhouette d’à peine un mètre soixante-cinq, ce surplus de poids me donnait des formes girondes dont mon décolleté ne se plaignait pas. Deux ans plus tard, j’avais retrouvé ma ligne, mon bonnet B et la moiteur de l’air mexicain, son odeur d’essence mélangée à un parfum de plantes grasses et d’excréments. Quand l’avion amorça sa descente sur les immeubles de la capitale, encore luisants sous le soleil du crépuscule, je ressentis une excitation profonde, un mélange de souvenirs, d’espoirs et de tension. J’ai toujours eu peur de l’atterrissage. Mon Ipod jouait une chanson de Terry Jacks. J’ôtai d’un geste sec mes écouteurs et refermait Sous le volcan de Malcolm Lowry. Le Consul, une bouteille de mezcal à la main, venait juste de retrouver son Yvonne.

- Voyez mademoiselle, l’air est moins dense en altitude, la portance est moins bonne qu’ailleurs à Mexico. C’est pour cela que l’avion garde une certaine allure avant de se poser.

Malgré son effort de persuasion, le steward n’était pas des plus rassurants. Au fond, ma crainte de l’atterrissage ne pesait rien à côté de ma peur du retour en arrière. J’avais voulu que ce voyage fût un bond en avant. Je finissais mes études, j’avais trouvé mon premier emploi, je quittais mes amis pour être plus sûre d’eux encore. Peut-être. J’étais convaincue de partir sans regret, en ayant eu les bonnes disputes, de celles qui libèrent et que l’on a imaginées vingt fois devant son reflet trop sage sans jamais être certaine d’être un jour à la hauteur du scénario fixé. L’avion se posa sans heurt. Je me levai et me préparai à sortir par la rampe d’accès. Ma peau, poisseuse, se collait à mon débardeur bleu.

-Vous croiserez surement Stéphane Bern en sortant. Il a pris ce vol, je crois qu’il va filmer un documentaire sur le Mexique.

Monsieur Bern attendait ses valises à côté de moi. Petit, le nez aquilin, le buste étroit, fatigué. La jetset parisienne perdait de son attrait, si tant est qu’elle en eût, dans l’aéroport de Benito Juarez après dix heures de vol. Il avait morflé le Stéphane. Une longue file d’attente s’était formée devant les postes des douanes. À tout hasard, je m’étais présentée devant le bureau réservé aux « diplomáticos » y aux « equipajes », les diplomates et les personnes voyageant avec un handicap ou avec un bébé, au choix. Une association qui ne manquait pas de bon sens, songeai-je. Devant moi, un vieil homme apparemment mexicain et dont la barbe avait conservé un gris soutenu, fut invité à passer sur son sol natal dans son fauteuil roulant. Je portais mon large gros sac-à-dos vert, une paire de baskets fatiguée, je ne correspondais pas exactement à l’idée que d’aucun se faisait du personnel des ambassades.

-Mira, que hace esa chava aqui 

Derrière moi, un jeune couple voyageait avec leur bébé, une poussette  et une cage en plastique foncé qui renfermait sans doute le chien dont je percevais la respiration saccadée. L’homme me gratifia d’un regard inquisiteur, comme s’il cherchait dans les traits de mon visage quelque indice de ma nationalité. Il n’en trouverait pas si facilement,  on avait déjà supposé à mon égard que j’étais Algérienne ou Allemande, on m’avait même demandé un jour dans un taxi si j’étais uruguayenne. Je tendis mon passeport de service à l’agent mexicain. Il l’examina attentivement, dans plusieurs sens, pour se donner l’air important mais je savais bien qu’il le feuilletait seulement tout en s’assurant qu’il eut l’air original.

-« Pasele senorita ».

"Mon horizon est planté de grattes-ciel, de fenêtres soudain éclairées par les mains invisibles d'un joueur d'échecs".

Polanco, quartier des affaires, depuis l'Ambassade de France.


La capitale des extrêmes


Mexico, la Torre Mayor au dernier plan, sous un voile de pollution...

Mexico, 21 millions d'âmes, 200 000 taxis et la plus haute tour d'Amérique Latine

Les murs blanc cassé du salon joignent les deux baies vitrées qui encadrent mon début de soirée. Avachie sur le canapé, les genoux relevés à hauteur de mon ventre, je tente de me confectionner un espace plus à ma taille, un environnement qui me réchauffe et me rassure. Les bruits me parviennent comme tapissés par les fenêtres, le bourdonnement des voitures, le cliquetis du métrobus, le souffle coupé du vent dans les plantes du balcon et les slogans criés par le vendeur ambulant de tamales se mêlent entre eux pour s'enrouler autour de moi comme une couverture légère. Les images bleutées du film qui défilent à la télé reflètent la vue de Mexico. Je relève la tête vers ce cadre sur l'extérieur découpé dans mon appartement. Mon horizon est planté de grattes-ciel, de fenêtres soudain éclairées par les mains invisibles d'un joueur d'échecs. Le ciel est une toile de fond brumeuse sur laquelle certains immeubles parviennent à peine à se détacher. Prétentieuse, la Torre Mayor domine toutes les tours et nargue le Castillo de Chaputepec qui jadis culminait le centre. Le Mexico de mon septième étage est une ville asymétrique, le dessin d'une équation à mille inconnues, un puzzle sans coin. Il me semble que Mexico projette toujours à la face de ses passagers le reflet de leurs états d'âme. Elle sait envelopper de façon rassurante mes envies ou au contraire, se faire tentaculaire lorsque je ne suis plus sûre de mon chemin. Ordonné en "cuadras", en pâtés de maison dessinés à l'équerre, cet imbroglio de tiendas, puestos de tacos et de trottoirs escarpés peut soudain me donner le vertige. La ville est un monde inversé où les étoiles sont tombées sur la plaine pour éclairer l'ancien lac de Tenochtitlan.

Mexico, tu restes l'étrangère même pour les taxis qui arpentent tes avenues sans fin, Insurgentes ou Reforma, depuis plusieurs décades. Titanesque, tu dévores tes enfants s'il manquent d'humilité. Insurgée, tu fais voler en éclat toutes les règles qui prétendent calculer la portée de tes excès. Un jour ou l'autre, nous sommes touchés par ton implacable appétit. Tu nous élèves pour rendre notre chute irrésistible. Pour mieux te connaître, j'ai décidé de me laisser submerger. Je suis prête. Vulnérable, j'attends.