Absolument aucune idée !!! Ce que je sais, c'est que je continue d'essayer, pas tous les jours, pas toutes les semaines, pas tous les mois. Mais quand ça vient, ça vient. Ça réécrit, ça efface, ça recopie, ça développe, ça voudrait raturer parfois. Et puis il y a le Mexique, alors ça vaut le coup d'écrire, forcément, non ? A vous de voir (enfin, "vous"... même si "vous" est un gars qui n'avait rien à faire entre 2 et 3 heures du mat., c'est toujours bon à prendre !).
Rechercher dans ce blog
vendredi 29 août 2008
Quelques notes de jazz latino...
Le Zinco se trouvait à l’angle de l’avenue Cinco de Mayo et de la rue Motolinia, au cœur du centre historique qui était faiblement éclairé le soir, dès que l’on s’éloignait de la place du Zócalo, puisque les têtes de lampadaires se cachaient presque toujours derrière le feuillage d’un arbre. En sortant de la bouche de métro qui donnait sur la rue Tacuba, j’ignorais encore que les entrailles du bar couvaient une atmosphère qui déciderait du tour que prendrait ma vie dans la nouvelle Tenochtitlán.
Nous prîmes tout droit, sur la rue piétonne déjà désertée par les vendeurs de lunettes et de chaussures orthopédiques qui haranguaient les passants pendant la journée. Ils avaient été remplacés au pied levé par une flopée de jeunes gens qui évoluaient en groupe, comme des grappes de raisins, ou enlacés deux par deux, sur le mode électron et proton, semblant chercher une adresse pour passer une soirée agréable. A l’entrée d’une Cantina anonyme, un accordéoniste, ventru et courbé, posté derrière un panama fatigué qu’il avait posé de manière hasardeuse à ses pieds, entama la « Valse sobre las olas », un morceau mexicain trop souvent confondu avec une valse de Strauss. Cinq jeunes recouverts de longues vestes noires apparemment en cuir – ou était-ce du plastique ? – et dont les yeux étaient cernés de grosses auréoles mûre écrasée, marchaient dans notre direction, nous dévisagèrent lorsqu’ils arrivèrent à notre hauteur et nous dépassèrent finalement, en poussant de grands rires, sans prêter attention à l’accordéon. Je relevai la tête. Une salsa endiablée tombait du premier étage d’un bâtiment datant apparemment du XVIIIème siècle, dont les balcons dardaient une lumière psychédélique, et sur la droite, j’en remarquai un autre qui, ceint d’une collerette en fer vert bouteille, ressemblait étonnamment à ces grands magasins parisiens du XIXème siècle. Lorsque nous traversâmes l’avenue Cinco de mayo, j’aperçus entre les voitures, sur la gauche, un édifice de plain-pied, dont la peinture blanche et jaune éparse laissait découvrir la laideur brute du béton. Il s’agissait d’un parking public et je supposais qu’un plus bel immeuble avait dû s’effondrer à sa place en quatre-vingt-cinq.
La porte discrète du Zinco donnait accès au sous-sol de l’ancienne banque nationale du Mexique, un bâtiment de type art déco, imposant et gris. Nous empruntâmes un escalier, les planches, d’un bois sombre, craquaient sous nos pas, et descendaient jusqu’à un petit guichet. Le hall était étroit et obscur. Des tubes peints en noir courraient sur le plafond et s’entrelaçaient comme les éléments d’un tableau de Eisher. Le concert coûtait cent cinquante pesos.
- Elle n’est pas donnée à tous, la culture jazz… Ce n’est pas une musique populaire à la base ? marmonna Anthoine.
L’ouvreuse nous fit signe de suivre le damier du carrelage qui se poursuivait sur la gauche, sous un lourd rideau de velours qui devait être d’un rouge flamboyant, dans une anti-chambre sans éclairage. Une serveuse dégagea d’un geste délicat et assuré un deuxième rideau de même couleur à l’autre extrémité de la pièce et qui s’ouvrait sur le bar, une petite salle basse de plafond, jonchée de tables rondes en bois noir laqué au centre desquelles scintillaient des bougies. Le long des murs, des rangées d’halogènes rendaient une lumière brune et vert anis qui coulait sur les visages des premiers clients adossés à la cloison. Au fond, à droite, un vieux zinc accueillait les coudes de trois mexicains, deux jeunes et l’un plus âgé, et d’une étrangère aux cheveux emmêlés. Sur ma gauche, une petite scène à peine surélevée ployait légèrement sous un piano à queue couleur de geais. On nous installa à une table qui se trouvait à quelques mètres de là. Anthoine nous commanda deux verres de mezcal. Tous les clients alentours parlaient à voix basse, comme s’ils craignaient de voler la vedette au groupe qui jouerait quelques minutes plus tard. Soudain, le souffle de leurs paroles se coupa net. Les musiciens apparurent au fond de la salle, dans notre dos, et s’avancèrent jusqu’à la petite estrade. Deux saxophonistes, un trompettiste, un batteur, un bassiste et le pianiste, un cubain presque obèse, qui portait une fine paire de lunettes aux verres ronds. Ce dernier pris place, avec une grâce que sa corpulence ne laissait soupçonner, sur la rondelle d’un tabouret étroit. Quelques secondes de silence, je retins ma respiration. Il posa ses doigts épais de labeur sur le piano. Les doigts se firent soudain légers au contact des premières touches. Et le souffle du jazz se répandit en cercles concentriques, le phrasé d’un air aux accents caribéens envahit nos tables et se faufila entre nos chaises. Je regardai alors Anthoine. Ses yeux brillaient et je ne crois pas que ce fut sous l’effet des bougies. Après quelques minutes, il fendit notre silence sans quitter la scène du regard:
- Cette musique, elle est… Légère et pourtant implacable…Tu vois ce que je veux dire, elle est comme libre…
Puis il se tourna vers moi.
- Ça valait le coup de venir jusqu’ici, Jo.
La serveuse posa d’un geste vif et feutré deux mezcal sur notre table. Je levai mon verre à ce moment partagé avec lui. Le pianiste prit une pause calculée et effleura de plus belle les notes jaunes et noires du piano. Le batteur était un grand maigre dont les genoux dépassaient la caisse claire. Je ne parvenais pas à voir la forme exacte de ses baguettes qui semblaient si fines, comme de la paille, ou plutôt comme des volutes de fumée faisant raisonner les peaux tendues sur lesquelles elles glissaient.
[...]
A cet instant, un couple installé à une table toute proche libéra un rire à gorges déployées, si fort et si claquant qu’il fit se retourner toute la petite salle qui sembla alors vouloir tuer le rire dans l’œuf, comme s’il s’eut agi d’un virus dangereux. L’homme n’en pris pas acte et vociféra de plus belle à l’oreille de sa compagne :
- Mais c’est vrai ! Comment Pablo peut-il sortir avec elle ? Regarde, là aussi, on dirait qu’elle a triplé de volume sous sa ceinture cache-misère. Et en plus, elle est un peu trop morena je trouve… Tu n’es pas d’accord ?
Il montra une image sur son smart phone à sa petite-amie brindille qui hocha trois fois de la tête et gloussa. Le pianiste continuait de glisser sur les touches ivoires, imperturbable. Mais la salle semblait s’être déconnectée, deux clients s’étaient levés, un autre se grattait le coude dans un va-et-vient nerveux de sa main gauche et une table appelait la serveuse pour commander des tacos de ceviche. J’imitai Anthoine, focalisant mon attention sur la scène pour tenter de laisser à nouveau les phrases musicales me pénétrer.
Rien n’y fit.
Je détournai à nouveau mon regard vers le couple de la zizanie : ils s’embrassaient à coup de langues grasses, et se dévoraient des yeux, laissant parfois entre leurs deux visages un espace de huit ou dix centimètres fonctionnant comme un vide prompt à les happer l’un vers l’autre. La serveuse dont je sentais la jupe longue sur mes chevilles se penchât sur une table voisine et lança:
- C’est bien la première fois que je les vois ces deux-là. Je me demande pourquoi ils ne sont pas plutôt sortis au Fischer…
Je vidai un autre verre de mezcal.
« Faire Woodstock ». Je n’entendais plus que la phrase d’Anthoine qui faisait écran à la musique dans mon cerveau. Etions-nous donc devenus incapables de sentir la grandeur d’un instant ? Ne voulions-nous pas tous expérimenter le poids de l’Histoire ? Dans un discours ou lors d’une manifestation, en hurlant son amour ou sa haine, devenant l’une des particules d’une masse de rebelles authentiques. Je sentais que l’on échouait à s’enthousiasmer, que l’on assistait, chaque fois, à une pâle répétition d’un temps fort situé dans le passé. Et l’on se rendait au Rockfest dans l’espoir de rencontrer une foule frénétique et rugissante comme celle de Woodstock, l’on attendait des discours de Ban Ki-Moon le lyrisme des mots d’un Luther King. Mais Madonna était un yogi, pas une junky, et les mains du Secrétaire des Nations Unies ne vibraient pas au rythme des foules mais répondaient seulement au prompteur invisible dressé devant lui et qui lui indiquait les pauses. Plus de chef d’orchestre, tout était électronique, enregistré, prévu, révisé. Quel icône aurait été McCartney s’il avait eu la bonne idée de mourir comme Lennon ! Au lieu de cela, il reprenait cent fois les mêmes rengaines et les abrutissait.
[...]
La jeune fille brindille se tordit sur sa chaise en accrochant follement ses cheveux de soie à un ruban de satin rose surmonté d’une griffe en strass. Je pris une autre rasade de mezcal.
[...]
La serveuse nous apporta deux autres mezcal que nous vidions aussitôt.
- Je ne sais pas si j’ai envie de rentrer en France, tu sais, Jo, m’avoua Anthoine. J’ai peur de perdre avec mes bagages ce foutu sentiment d’être particulier. J’ai l’impression d’avoir ouvert une parenthèse ici, je me sens… Autre, moi en mieux, en plus chingón. Est-ce que tu comprends ?
- C’est normal, ici tu es un étranger. Tu es un blond doublé d’un triomphateur et tu n’y peux rien. Et c’est plutôt sympa d’être le guëro, avoue !
- Ça a ses bons cotés. Mais je ne suis que stagiaire, ne l’oublie pas. Alors, le triomphe, tu sais…
- Ici, il y aura toujours quelque chose qui nous échappera. Tu me le disais tout à l’heure. Et il est vrai que ça rend la vie plus intéressante. Tu crois les comprendre toi, les Mexicains ?
- Tu les connais mieux que moi après un an à Guadalajara. Moi, je découvre.
- Et moi, je découvre que je ne les connaitrai jamais, au fond.
dimanche 20 janvier 2008
Mes impressions, soleil levant 19/12/07
dimanche 6 janvier 2008
Attrapée entre deux mondes
La première fois que j’avais quitté le Mexique, sept kilos m’étaient tombés sur les hanches. Arrimés à une silhouette d’à peine un mètre soixante-cinq, ce surplus de poids me donnait des formes girondes dont mon décolleté ne se plaignait pas. Deux ans plus tard, j’avais retrouvé ma ligne, mon bonnet B et la moiteur de l’air mexicain, son odeur d’essence mélangée à un parfum de plantes grasses et d’excréments. Quand l’avion amorça sa descente sur les immeubles de la capitale, encore luisants sous le soleil du crépuscule, je ressentis une excitation profonde, un mélange de souvenirs, d’espoirs et de tension. J’ai toujours eu peur de l’atterrissage. Mon Ipod jouait une chanson de Terry Jacks. J’ôtai d’un geste sec mes écouteurs et refermait Sous le volcan de Malcolm Lowry. Le Consul, une bouteille de mezcal à la main, venait juste de retrouver son Yvonne.
- Voyez mademoiselle, l’air est moins dense en altitude, la portance est moins bonne qu’ailleurs à Mexico. C’est pour cela que l’avion garde une certaine allure avant de se poser.
Malgré son effort de persuasion, le steward n’était pas des plus rassurants. Au fond, ma crainte de l’atterrissage ne pesait rien à côté de ma peur du retour en arrière. J’avais voulu que ce voyage fût un bond en avant. Je finissais mes études, j’avais trouvé mon premier emploi, je quittais mes amis pour être plus sûre d’eux encore. Peut-être. J’étais convaincue de partir sans regret, en ayant eu les bonnes disputes, de celles qui libèrent et que l’on a imaginées vingt fois devant son reflet trop sage sans jamais être certaine d’être un jour à la hauteur du scénario fixé. L’avion se posa sans heurt. Je me levai et me préparai à sortir par la rampe d’accès. Ma peau, poisseuse, se collait à mon débardeur bleu.
-Vous croiserez surement Stéphane Bern en sortant. Il a pris ce vol, je crois qu’il va filmer un documentaire sur le Mexique.
Monsieur Bern attendait ses valises à côté de moi. Petit, le nez aquilin, le buste étroit, fatigué. La jetset parisienne perdait de son attrait, si tant est qu’elle en eût, dans l’aéroport de Benito Juarez après dix heures de vol. Il avait morflé le Stéphane. Une longue file d’attente s’était formée devant les postes des douanes. À tout hasard, je m’étais présentée devant le bureau réservé aux « diplomáticos » y aux « equipajes », les diplomates et les personnes voyageant avec un handicap ou avec un bébé, au choix. Une association qui ne manquait pas de bon sens, songeai-je. Devant moi, un vieil homme apparemment mexicain et dont la barbe avait conservé un gris soutenu, fut invité à passer sur son sol natal dans son fauteuil roulant. Je portais mon large gros sac-à-dos vert, une paire de baskets fatiguée, je ne correspondais pas exactement à l’idée que d’aucun se faisait du personnel des ambassades.
-Mira, que hace esa chava aqui ?
Mexico, 21 millions d'âmes, 200 000 taxis et la plus haute tour d'Amérique Latine
Les murs blanc cassé du salon joignent les deux baies vitrées qui encadrent mon début de soirée. Avachie sur le canapé, les genoux relevés à hauteur de mon ventre, je tente de me confectionner un espace plus à ma taille, un environnement qui me réchauffe et me rassure. Les bruits me parviennent comme tapissés par les fenêtres, le bourdonnement des voitures, le cliquetis du métrobus, le souffle coupé du vent dans les plantes du balcon et les slogans criés par le vendeur ambulant de tamales se mêlent entre eux pour s'enrouler autour de moi comme une couverture légère. Les images bleutées du film qui défilent à la télé reflètent la vue de Mexico. Je relève la tête vers ce cadre sur l'extérieur découpé dans mon appartement. Mon horizon est planté de grattes-ciel, de fenêtres soudain éclairées par les mains invisibles d'un joueur d'échecs. Le ciel est une toile de fond brumeuse sur laquelle certains immeubles parviennent à peine à se détacher. Prétentieuse, la Torre Mayor domine toutes les tours et nargue le Castillo de Chaputepec qui jadis culminait le centre. Le Mexico de mon septième étage est une ville asymétrique, le dessin d'une équation à mille inconnues, un puzzle sans coin. Il me semble que Mexico projette toujours à la face de ses passagers le reflet de leurs états d'âme. Elle sait envelopper de façon rassurante mes envies ou au contraire, se faire tentaculaire lorsque je ne suis plus sûre de mon chemin. Ordonné en "cuadras", en pâtés de maison dessinés à l'équerre, cet imbroglio de tiendas, puestos de tacos et de trottoirs escarpés peut soudain me donner le vertige. La ville est un monde inversé où les étoiles sont tombées sur la plaine pour éclairer l'ancien lac de Tenochtitlan.
Mexico, tu restes l'étrangère même pour les taxis qui arpentent tes avenues sans fin, Insurgentes ou Reforma, depuis plusieurs décades. Titanesque, tu dévores tes enfants s'il manquent d'humilité. Insurgée, tu fais voler en éclat toutes les règles qui prétendent calculer la portée de tes excès. Un jour ou l'autre, nous sommes touchés par ton implacable appétit. Tu nous élèves pour rendre notre chute irrésistible. Pour mieux te connaître, j'ai décidé de me laisser submerger. Je suis prête. Vulnérable, j'attends.